Dommages immatériels en construction : définition et prise en charge
L’essentiel à retenir
La définition contractuelle est prioritaire. Si la police d’assurance définit les dommages immatériels comme « tout préjudice économique » ou « tout préjudice pécuniaire », alors la liste qui suit (« tel que… ») est illustrative, pas limitative (CA Bordeaux, 17 juin 2025, RG 23/00690).
Préjudice de jouissance : pécuniaire ou moral ?
Les gênes ou désagréments non chiffrés ne sont pas couverts par une clause visant « tout préjudice pécuniaire » (CA Aix-en-Provence, 4 avr. 2025, RG 20/04117).
En revanche, les frais réels et justifiés (relogement, déménagement, garde-meubles…) sont indemnisables à condition d’être prouvés par des factures. Plusieurs décisions confirment cette exigence de preuve comptable et, souvent, de lien avec un dommage matériel garanti :
- CA Rennes, 10 nov. 2016 : les frais annexes sont indemnisables via la police DO, mais le préjudice moral est exclu.
- CA Bordeaux, 26 sept. 2019 : seuls les préjudices économiques consécutifs à des dommages matériels sont couverts ; les devis seuls ne suffisent.
- CA Paris, 19 mars 2014 : si le bien reste habitable, le trouble de jouissance est considéré comme moral et donc non indemnisable.
- CA Bordeaux, 28 déc. 2010 : confirme que le préjudice de jouissance non chiffré n’est pas garanti.
- CA Bastia, 25 sept. 2024 : la privation d’usage d’une piscine sans perte financière prouvée n’est pas indemnisable.
DO/RCD : quelles limites pour les frais annexes ?
Les clauses types (art. A.243-1, annexes I et II du Code des assurances) couvrent les travaux de réparation. Les frais annexes ne sont pris en charge que s’ils sont nécessaires et accessoires à ces travaux (ex. démolition), mais pas s’ils relèvent de l’exploitation (ex. agents de sécurité).
Assurance obligatoire & plafond facultatif
- La garantie décennale obligatoire (RCD) ne couvre que les dommages matériels (CA Paris, 8 mars 2023, RG 21/07545).
- En DO, les dommages immatériels sont soumis à un plafond contractuel, lorsqu’ils sont couverts (Cass. 3e civ., 5 oct. 2022, n° 21-18.960).
- C’est à l’assureur RCD de produire son contrat pour prouver l’absence de garantie immatérielle (Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 20-22.486), et au juge de vérifier si la garantie est subordonnée à un dommage matériel décennal (Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 21-10.155).
Comment définir les dommages immatériels ? 2 approches clés
Une clause qui vise « tout préjudice économique, tel que perte d’usage, interruption d’un service, cessation d’activité, perte de bénéfice, perte de clientèle » ouvre le champ à toutes les pertes financières prouvées, même si elles ne figurent pas dans la liste (CA Bordeaux, 17 juin 2025).
En pratique, cela signifie que peuvent être couverts : frais de relogement, perte locative, coûts liés à la continuité d’exploitation…, à condition que la police le permette (consécutivité, plafonds, exclusions…).
S’il est moral (gêne, perte d’agrément), il n’est pas couvert par une clause visant les préjudices pécuniaires (CA Aix-en-Provence, 4 avr. 2025).
S’il se traduit par des dépenses réelles, il devient pécuniaire et indemnisable, à condition de fournir des factures et, le cas échéant, de démontrer un lien avec un dommage décennal. Cette approche est confirmée par les décisions de Rennes (2016) et Bordeaux (2019), qui insistent sur la preuve de la dépense.

DO & RCD : quels frais « autour » des travaux réparatoires ?
Les clauses types (art. A.243-1 du Code des assurances) couvrent les travaux de réparation, y compris les opérations nécessaires comme la démolition, le démontage ou le déblaiement.
Quelques exemples jurisprudentiels :
- Couverts : déménagement de matériels indispensables à la réalisation des travaux (Cass. 3e civ., 20 oct. 2010, n° 09-15.093).
- Non couverts : création d’un bâtiment provisoire pour maintenir l’activité pendant les travaux (Cass. 3e civ., 13 janv. 2010, n° 08-18.143).
- Agents de sécurité : leur coût n’est pas pris en charge si leur présence ne constitue pas une nécessité pour les travaux (Cass. 3e civ., 6 mars 2025, n° 23-18.093).
- Mesures conservatoires : non indemnisées si elles visent à maintenir l’activité (ex. surveillance incendie pour une clinique) et non à éviter l’aggravation du dommage (Cass. 3e civ., 14 déc. 2022, n° 21-19.544).
À retenir : sont couverts les frais qui protègent l’ouvrage ou sont nécessaires aux réparations.
En revanche, les dépenses liées à la continuité d’exploitation (gardiennage, bâtiment provisoire, remplacement fonctionnel) sont hors périmètre, sauf extension spécifique.
Police obligatoire vs. garanties facultatives (plafonds & preuve)
RCD obligatoire : ne couvre que les dommages matériels (CA Paris, 8 mars 2023).
DO – immatériels facultatifs : soumis à un plafond contractuel (Cass. 3e civ., 5 oct. 2022).
Charge de la preuve :
- À l’assureur RCD de produire la police pour prouver l’absence de garantie immatérielle (Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 20-22.486).
- Le juge doit vérifier si la garantie immatérielle est conditionnée à un dommage matériel décennal (Cass. 3e civ., 2 mars 2022, n° 21-10.155).
Côté assuré/victime : il faut fournir des factures réglées, pas seulement des devis, et démontrer le lien de causalité avec le dommage garanti (CA Bordeaux, 26 sept. 2019).
Destination professionnelle : un critère désormais sans effet sur la garantie décennale
L’arrêt du 25 septembre 2025 s’inscrit donc dans une logique cohérente : la destination exclusivement industrielle d’une installation (comme une unité d’ammoniaque, une centrale ou un data center) n’est pas un critère d’exclusion de la garantie décennale, dès lors que les travaux réalisés sont constitutifs d’un ouvrage.
La Cour vient ainsi neutraliser la portée restrictive de l’article 1792-7 du Code civil, qui ne vise que les éléments d’équipement dissociables à vocation exclusivement professionnelle, et non les ouvrages eux-mêmes.
Autrement dit : dès qu’il y a ouvrage, il n’y a plus de 1792-7.
Cette analyse s’applique aussi bien aux installations industrielles lourdes (revêtements réfractaires, ponts roulants, conduites, cheminements techniques) qu’aux équipements énergétiques intégrés (photovoltaïques, pompes à chaleur structurelles, systèmes thermiques).

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Raphael Cerda

Raphael Cerda
Directeur Construction & Energie
Fort de près de 20 ans d'expérience dans l'assurance construction, Raphaël a occupé des postes à responsabilités croissantes chez Bouygues Construction, Marsh et Satec. Il rejoint désormais Howden France pour piloter le développement de la Ligne Produit Construction-Energie à l'échelle internationale.
Reconnu pour ses capacités de négociation et sa vision stratégique, Raphaël contribuera à positionner Howden France comme un acteur de référence sur le marché de l'assurance construction et énergie.
Expertises spécifiques : étanchéité, immobilier, grands chantiers
Diplômes :
- MASTER IAP / La Sorbonne
- DESS Droit des Assurances / La Sorbonne
- Executive MBA / PSL Paris Dauphine
- Executive MBA / UQAM Montréal







